Chacun connaît le talent de pianiste de Philippe Duchemin et sa filiation stylistique avec Oscar Peterson. Son album est un hommage au pianiste canadien. La trouvaille tient au fait que les pièces qui constituent cette sorte de portrait musical sont originales, écrites par chacun des trois musiciens constituant le trio. Celles de Duchemin, comme il se doit, font référence à des aspects pianistiques propre aux locataires permanents du tabouret du JATP. Sont ainsi bien venues celles en relation à Bach (Oscar a écrit plusieurs pièces en hommage à ce compositeur) ou à Chopin (« Ballade en Pologne »), avec la part d'humour qu'il convient, ou le « Fingers in the Night » très brownien dans son mouvement tournant comme l'oscarmourien « Anatolia ». La formule piano-guitare-basse, qui fit la gloire du premier trio de Peterson, en référence à la formation de King Cole ou de Tatum, deux des maîtres du pianiste de Toronto, confère à l'ensemble une souplesse rythmique particulière.
La formation fonctionne bien. Dano Haider s'avère être plus près de Irving Ashby (qui fit partie d'un des premiers trios de Peterson) que de Herb Ellis. Il fait admirer son phrasé dans « Anatolia ». Manuel Marchès est un accompagnateur attentif, qui sait au besoin, apporter sa part d'originalité : « Fingers in the Night » en est un bon exemple. Philippe Duchemin est égal à lui-même : excellent pianiste, avec un sens du swing tout à fait remarquable. La générosité de sa manière n'ôte rien à sa belle musicalité.
Espérons que ce disque popularise l'un des héritiers originaux d'Oscar, le puissant et romantique Philippe Duchemin. Il est presque paradoxal que cet enregistrement soit un hommage alors que le pianiste du Mans y développe une approche de plus en plus personnelle. Sans rien renier de l'héritage de Tatum ou Peterson, sans tomber dans le loussiérisme, il conjugue le swing, la musique classique, voire d'autres moments du jazz (Chick Corea et « Armando's Rumba » sur « Rue de Maubeuge » ). « Oscar » est une belle mélodie attendrie, entre romantisme et swing petersonien. « Ballade en Pologne » conjugue la chopinerie et le jazz selon le principe des ruptures de tempo. Dans ce trio homogène, le dialogue intelligent, recherché et généreux, participe de la joie de cette musique. Félix W. SPORTIS et Jean SZLAMOWICZ